Débuts
Chili, janvier 2012, je pousse et je tire mon vélo de voyage sur une piste trop pentue pour pédaler. Les taons attaquent sans cesse; heureusement qu’ils sont lents. Les écraser est facile lorsqu’ils commencent à sucer le sang, sauf qu’il faut lâcher une main pour les tuer.
Le vélo pèse environ 45 kilos, avec de l’eau, de la nourriture, tout l’attirail de camping et quelques affaires de rechange. C’est dans ces moments là que l’on rêve d’alléger la monture.
Pour mes 50 ans, je me suis offert une micro-aventure. Voyager à vélo de Puerto Mont à Villa O’Higgins, sur la Carretera Austral . 1’240 kilomètres, dont 900 de piste sur 3 semaines. J’ai même réussi à trouver un excellent compagnon de route, Vincent, qui s’est facilement laissé tenter.
Passion
Motivation
Mais qu’est-ce qui me plait donc dans le vélo ? Pourquoi investir de l’énergie, du temps et des francs ? Est-ce qu’il n’y a pas d’autres sports qui sont équivalents ? Qu’est-ce que cela m’apporte ? Est-ce que je ne prend pas trop de risques à rouler à côté des voitures et des camions ? A mon âge, est-ce que tout cela est bon pour mon corps ?
La vitesse de déplacement à vélo est idéale : cela va assez lentement pour s’arrêter rapidement quand bon me semble et cela va assez vite pour se retrouver ailleurs en quelques jours. Être à l’extérieur me permet de m’imprégner des odeurs, des couleurs et du vent (relatif ou non) qui me passe sur le corps.
Le vélo me permet de plus aisément entrer en contact avec des gens. Ce n’est pas la même chose que de descendre d’un bus climatisé, en mode touriste riche, que d’arriver modestement à vélo. Immanquablement on me demande le prix de mon vélo. Répondre la vérité est impossible; comment dire que cela représente 2 ans de salaire ? L’astuce développée avec les années consiste à répondre que c’est un cadeau de mon père et que je ne connais pas le prix (en plus, il y a la figure paternelle, qui évite de continuer cette discussion).
Pour prendre le vélo dans la chambre de l’hôtel ou du gîte, c’est parfois mal accepté. Cette fois je raconte que le vélo m’a été offert par ma femme et que si le vélo est volé, je vais avoir des gros problèmes avec Madame (cela les fait rire en général).
Rouler des journées entières peut ressembler à un exploit physique, mais ce n’est pas du tout le cas. Il suffit d’adapter sa vitesse, pour rentrer en mode endurance, sans oublier de manger un maximum. Un double vainqueur de la Transcontinental Race affirmait que cette course se résumait davantage à un concours de bouffe. Mais à mon humble avis le véritable challenge se situe plutôt au niveau des fesses et de la selle…
Si j’ai de la chance, je peux rouler avec des amis, et les liens se renforcent. Seul, je rêvasse, je mets de la musique, et parfois je chante avec. Pédaler implique de respirer correctement. Et je ne suis pas loin de penser que pédaler en voyage présente des similitudes avec la méditation en pleine conscience.
Ultra cyclisme
L’offre de course d ’ultracyclisme s’est aussi considérablement étoffée ces dernières années. Même si le terme est relativement nouveau, cela fait longtemps que des épreuves cycliste se déroulent sur plusieurs centaines ou plusieurs milliers de kilomètres (pour davantage de lecture Audax , Brevet Randonneur Mondiaux ).
Dans la très grande majorité des cas, on roule en autonomie. Cela nous fait entrer dans une autre dimension, différente des courses cyclistes plus “classiques”. L’autonomie implique de se débrouiller pour tout : pour la nourriture, les boissons, les pannes technologiques, les pannes mécaniques, les imprévus et les nuits.
Il faut avoir un plan A et un plan B, qui doit aussi bien fonctionner que le plan A. Lors de la préparation, un million de questions ne cessent de se bousculer dans la tête. La veille de la course, je fais encore des changements importants(et je ne suis pas le seul).
Sans rentrer dans les détails, je dois au minimum mentionner :
● l’habillement, qui doit permettre de pédaler le jour comme la nuit, sous le soleil ou la pluie;
● l’orientation par GPS, primordial (c’est certain, à un moment donné cela va foirer);
● la mécanique du vélo (jusqu’à quel point je suis prêt à accepter un risque de casse
sans pouvoir immédiatement réparer ?);
● le manger et la boisson (quoi, combien de kilos et litres ?);
● la pharmacie (un univers en soi…);
● l’électricité, pour les lumières, le compteur et le téléphone.
Pour ce qui est des aspects physiques, un entraînement est conseillé, si possible avec des professionnels. Juste pédaler 10 heures le week-end ne suffira pas. Sur les aspects de préparation mentale, j’aimerais pouvoir écrire quelque chose. Mais je n’ai pas de billes sur le sujet. Je sais seulement que durant la course je vais vivre des montagnes russes émotionnelles, qu’il faudra gérer. Et qu’il ne faut jamais abandonner quand il fait nuit; l’arrivée de la lumière du soleil influence fortement le mental.
Bikingman Oman
Courant 2019, je me suis inscrit à une course d’ultra cyclisme, à Oman, prévue pour février 2020. L’engagement physique est assez raisonnable : 1’060 km, avec 9’000m de dénivelé à réaliser en moins de 5 jours. Avec l’appui de RCS, je me suis bien entraîné. D’ailleurs, c’est la première fois de ma vie que je dispose d’un coach que pour moi. La relation qui se développe est harmonieuse, avec une recherche de l’équilibre entre “c’est moi le client et je fais ce que je veux” et “mon coach est toujours présent et je ne veux pas le décevoir”. Bref, que ce soit à la cave ou dehors dans l’hiver froid et humide, j’avais un objectif lorsque je posais mes fesses sur une selle.
Cet objectif avait en fait 3 facettes. Le faire en 80 heures, en ne dormant que peu les nuits, découvrir un pays que je connaissais pas et rencontrer d’autres cyclistes un peu fous. Sur le papier, j’ai atteint 2 objectifs. Mais une chute après 500km m’a abîmé le tendon d’Achille, avec un oedème qui s’est immédiatement déclaré. Cela m’a obligé à modifier ma stratégie de course. Au lieu de peu dormir les nuits sur le bord de la route, j’ai dormi dans des hôtels pour reposer un maximum le tendon. Dès lors, j’ai aussi carburé à l’Ibuprofène, pour tenir le coup. Donc j’ai fini en 94 heures, soit le double du premier arrivé…
Et qu’ai je appris ? En vrac, je peux mentionner : 1. Une bonne stratégie de course se modifie obligatoirement. 2. Je ne dois plus tomber (évident). 3. Il ne faut pas toujours compter avec ce que l’on peut acheter dans stations services comme nourriture. 4. Je peux encore alléger mes bagages (par exemple laisser mon 2ème Power bank). 5. Je recommencerais une course similaire. 6. Les chewing-gum au café ne m’empêchent pas de dormir. 7. La nuit, je repère les dromadaires à l’odeur. 8. Je n’aime pas rouler 150 km sur la bande d’arrêt d’urgence des autoroutes, en pleine nuit, avec du gros trafic (c’est autorisé à Oman). 9. Il m’a fallu un mois pour récupérer la sensibilité au bout de 2 doigts. 10. Les montées en plein soleil, avec une température de 41 degrés, c’est pas top.
La suite
Merci à Christopher pour son récit, nous nous réjouissons de pouvoir l’accompagner dans ses prochaines aventures.